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Clémentine Autain : « Quand ma mère est morte, j’ai eu besoin de Dieu »

Députée de Seine-Saint-Denis, Clémentine Autain se rêve en figure de proue de la gauche pour 2027. Elle est aussi l’autrice de « Dites-lui que je l’aime » (Grasset, 2019), adapté au cinéma par Romane Bohringer. Sorti le 3 décembre, ce film évoque sa mère, la comédienne Dominique Laffin. Alcoolique et maltraitante, elle est décédée brutalement en 1985 alors que sa fille n’avait que 12 ans.

Publié le 11 Déc 2025

Par Robin Verner

Photos de Camille Nivollet

Le Cri : Votre premier combat électoral remonte aux législatives de 1997. À Rambouillet, vous étiez la suppléante d’Anne-Lise Melquiond face à Christine Boutin. Les chrétiens ne vous ont pas laissé un trop mauvais souvenir ?

Clémentine Autain : [Rires.] C’est sûr que Christine Boutin était pour nous une opposante de premier choix, notamment pour porter notre combat en faveur des droits des femmes. Notre slogan sur les affiches, c’était « Boutons Boutin hors de l’Assemblée », et on avait décidé de ferrailler avec ce qu’elle incarnait. Ce n’était pas sa foi qui était en cause, mais ses combats réactionnaires.

D’ailleurs, votre livre et le film qui en est tiré ne répondent pas à la grande question. Dieu, c’est un dossier que vous avez ouvert, ou il n’en a jamais été question ?

Quand ma mère est morte, j’avais 12 ans et j’ai eu besoin de Dieu, de croire en quelque chose qui m’aiderait à surmonter la douleur de perdre une maman. Je suis allée au catéchisme et j’ai demandé à être baptisée. Mon père, athée et remonté contre les Églises, était stupéfait. Il m’a laissée faire car ma mère venait de mourir. C’était délicat de s’y opposer. Mon engagement religieux, fugace, était aussi une forme de crise d’adolescence à son égard. Ce qui m’a fait rompre (et rapidement) avec la religion catholique, c’est quand on m’a parlé de la Vierge Marie. Rationnellement, ce n’était vraiment pas possible !

Le film « Dites-lui que je l’aime » explore la rencontre de votre trajectoire et de celle de la réalisatrice, qui a aussi perdu sa mère très jeune. L’histoire de Romane Bohringer vous a-t-elle amenée à comprendre la vôtre différemment ?

Sur un point, oui. Si Romane a voulu adapter ce livre, c’est aussi parce qu’elle avait très peu de souvenirs d’enfance avec sa mère. Moi, j’ai vécu chez la mienne jusqu’à mes 8 ans, puis quand mon père m’a récupérée parce que la situation s’envenimait, j’ai continué à la voir souvent. Je pouvais donc apporter cette matière au film. Mais Romane a beaucoup plus d’explications que moi sur les raisons du mal-être de sa mère et de son incapacité à s’occuper d’elle. L’histoire de sa mère, dans le film, m’amène à penser, au-delà de mon livre, aux raisons de la souffrance de la mienne : pourquoi allait-elle si mal ? Pourquoi certains sombrent-ils et d’autres non ? Il y a une part de mystère.

Votre livre et le film disent beaucoup des intermittences et des distorsions de la mémoire. Un souvenir s’agrandit-il quand on le partage ?

Oui. Jusqu’au livre, je n’avais que de mauvais souvenirs. Quand on veut se construire face à un contre-modèle et mettre à distance la douleur de la perte, n’avoir que de mauvais souvenirs nous aide, dans un premier temps. Mais ouvrir la mémoire à des souvenirs heureux permet d’accéder à une part de soi qui se trouvait comprimée.

Vous vous souvenez notamment de la pitié dont vous faisiez l’objet à la mort de votre mère, un sentiment dont vous aviez horreur…

Elle m’était insupportable. Je n’avais pas envie d’être enfermée dans ce regard qui me plaçait dans le rôle de la victime. Après le viol que j’ai subi à 24 ans, j’ai eu ce même ressort intime. J’ai reçu une lettre de soutien me disant : « J’ai été violée, ça fait trois ans et je commence à voir le bout du tunnel. » Ce que j’ai ressenti, c’est de la colère : « C’est quoi cette lettre censée me soutenir et qui me dit que dans trois ans, je serai encore empêtrée dans ce drame ? » Avec le recul, je comprends mieux le sens de ce courrier, car trois ans après les faits je n’étais absolument pas débarrassée du viol !

C’est ce que j’ai eu tant de mal à comprendre chez ma mère. À l’opposé d’elle, je me disais : « Quand on veut, on peut. » Aujourd’hui, je déteste cette maxime. Car encore faut-il pouvoir vouloir ! On ne peut pas comprendre le mal-être, la dépression, la tentation suicidaire si l’on ne saisit pas que pour vouloir, il faut en avoir la capacité.

Dans votre livre, vous écrivez à votre mère : « La boule qui se forme dans ma gorge dès que tu réapparais dans ma vie… »

Elle est partie ! C’est la force de ce travail. J’ai maintenant une photo de ma mère dans mon salon. Je suis contente de la croiser, ça ne m’évoque plus la même chose et quand des gens viennent me parler d’elle et me dire qu’ils l’ont aimée ou admirée comme comédienne, ça me fait plaisir, alors qu’avant ça me glaçait.

Le livre comme le film deviennent une quête de réconciliation, de pardon. Est-ce qu’on pardonne en politique ?

En politique, je raisonne très peu en ces termes. Je me suis parfois sentie trahie, mais je n’utilise pas ce vocabulaire — « trahison », « pardon ». En général, j’évite de mélanger la politique avec les affects. C’est peut-être ce qui me rend adaptée à cet univers, car si l’on ne fait pas la part des choses, on prend très cher. Contrairement à d’autres, j’accepte de ne pas être d’accord avec mes amis, je supporte que des proches fassent des choix différents des miens et changent. Ce que je cherche, c’est la fidélité à mes engagements. Ce qui m’intéresse, c’est d’emmener toujours plus de monde sur le chemin que je crois juste.

On en parle peu, mais il y a de la joie à faire de la politique ?

Je n’apprécie pas ceux qui disent : « Je fais de la politique par altruisme. » Quelle hypocrisie ! Bien sûr que l’on fait de la politique pour servir ses concitoyennes et ses concitoyens, même si beaucoup en doutent, et je les comprends… Mais si l’on est à cet endroit-là, c’est aussi parce qu’on vient chercher quelque chose pour soi-même.

Dans les grands mouvements auxquels j’ai participé – novembre-décembre 1995, les retraites, MeToo… –, il y avait énormément de joie. On était porté par le nombre, par l’histoire qui se fabriquait. Il y a d’autres périodes où l’on est moins galvanisé. La dimension de responsabilité est alors plus forte. Ces derniers temps, c’est ce que je ressens. Quand on est face à la vague néofasciste, qu’on déplore la fracturation de la gauche, il y a même de la colère. Mais c’est justement dans ces moments-là que je n’ai pas le droit de lâcher. Et c’est peut-être là que la lutte contre l’extrême droite, viscérale chez moi, rejoint mon histoire familiale, celle de ce grand-père [André Laffin, député d’extrême droite entre 1960 et 1962 et cofondateur du Front national pour l’Algérie française avec Jean-Marie Le Pen, ndlr] avec lequel j’ai sans doute des comptes à régler, même si je ne l’ai jamais connu.

Vous êtes candidate à la présidentielle via une primaire à gauche. Comment cette décision a-t-elle été prise ?

C’est une décision que j’ai d’abord travaillée intimement avant de la rendre publique. Il s’agit, dans ce moment politique précis, de penser que mon profil est le bon pour incarner la gauche. Ça n’a pas toujours été le cas, mais aujourd’hui, je me situe au cœur de la gauche et j’ai acquis l’expérience nécessaire pour prétendre à cette fonction. C’est à la croisée de ces deux chemins que se situe ma candidature.

J’imagine que c’est vertigineux. Quels sont les ressorts intimes qui permettent de surmonter ce vertige ?

Ce vertige, c’est à la fois une griserie dont il faut se méfier et une immense responsabilité. Le sens de la responsabilité, que je devais avoir pour deux quand j’étais enfant, s’est imprégné très profondément en moi avec ma mère défaillante. Donc l’un des ressorts qui m’animent, c’est cette capacité développée très tôt à endosser la responsabilité de protéger les autres.

Cet article est tiré du second numéro du Cri. Pour découvrir notre magazine, plus d’hésitation, abonnez-vous !

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