Croyante et de gauche radicale. C’est ainsi qu’Elizabeth Tabish, actrice principale de la série The Chosen, s’est présentée dans Vanity Fair il y a quelques mois. « Believer » et « hardcore leftist ». Deux drapeaux que l’Amérique de 2025 hisse rarement côte à côte. Là-bas, « chrétien » rime avec « conservateur », « évangélique » avec « trumpiste ».
Notre échange a lieu quelques jours après les funérailles de Charlie Kirk, patron de Turning Point USA et figure du trumpisme abattu en plein discours sur un campus de l’Utah, le 10 septembre 2025. Les images ont tourné en boucle : foule en larmes à l’église Godspeak, pickups bardés de drapeaux et d’autocollants pro-Trump. La foi plus que jamais brandie comme un étendard politique.
Chevelure brune en cascade, sourire timide, Elizabeth Tabish s’excuse d’avoir repoussé l’entretien, elle y tenait beaucoup : « Il me semblait nécessaire de dire qu’il existe, aux États-Unis, des chrétiens de gauche », souffle-t-elle. À cause de son rôle dans The Chosen, elle a senti peser les présomptions, « comme si croire en Jésus équivalait à partager toutes les convictions de certains spectateurs ».
L’actrice assume ses opinions, tout en redoutant la polémique. « La situation de mon pays est effrayante », confie-t-elle. Elle revendique son attachement à Bernie Sanders – « c’est mon candidat » –, mais refuse d’être assignée à une chapelle. « Je suis une artiste. Je crois que les histoires que je raconte en disent plus sur moi que mes prises de position. »
Depuis sept ans, c’est l’histoire de Marie de Magdala (Marie Madeleine, la disciple de Jésus) qu’elle raconte à l’écran, dans une production devenue phénomène mondial, avec 280 millions de spectateurs dans 175 pays. Porté par une armée de fans, le projet a levé près de 100 millions de dollars, un record du genre. Fidèle aux textes bibliques, chaque script est relu par des théologiens et des conseillers religieux. Mais la série s’autorise aussi des libertés, en imaginant par exemple un disciple atteint de troubles autistiques ou en donnant une place centrale aux personnages féminins.
Une relecture féministe ? « Non. C’est déjà dans l’Évangile », tranche Tabish. Les femmes y occupent une place inattendue pour l’époque. Marie est nommée par son nom, chose rare dans les textes anciens. Les femmes sont au pied de la croix quand les disciples ont fui. Elles sont les premières témoins de la Résurrection. Et c’est encore à une femme, au puits de Jacob, que Jésus révèle pour la première fois sa nature. « Cela nous rappelle qu’il leur donnait une vraie place », estime Tabish.
Marie de Magdala a longtemps été réduite à la prostituée repentie, la Pécheresse opposée à la Vierge. The Chosen lui rend chair et profondeur. Souffrant de stress post-traumatique à la suite d’agressions sexuelles, Marie lutte contre des démons (littéralement), l’alcoolisme et la honte. Le personnage est cabossé. Un « rôle cathartique » pour l’actrice : « Les blessures de Marie faisaient écho aux miennes. »
Selon Tabish, ce personnage est aussi porteur d’espérance. « J’aimerais que les femmes retiennent qu’il y a toujours un nouveau chapitre. La honte, le passé, le désespoir ne sont jamais la fin. Marie est au bord du gouffre quand elle rencontre Jésus et cette rencontre change sa vie. Même au pire moment, lors de la crucifixion de son ami, il reste cette petite étincelle. Il y aura toujours de l’espoir. »
La foi sans les codes
Elizabeth Tabish est née dans l’Utah, en terre mormone, et a grandi dans une famille maronite arménienne et libanaise, au cœur de la Bible Belt de l’Oklahoma. Ces origines détonnaient dans l’Amérique blanche des églises du Sud. Confrontée à un christianisme saturé de règles et d’attentes sociales, elle a fini par rejeter l’institution. Pas la foi.
L’actrice s’est toujours tenue à distance. Chaque fois qu’elle a voulu rejoindre une église, elle y a retrouvé les réflexes d’un club : les codes, le langage, les convenances. Ce qu’elle retient de l’Évangile, c’est autre chose. Un appel à accomplir « des choses difficiles et belles » : apporter la paix, aimer les autres, s’aimer soi-même.
Est-ce que ce rôle l’a rapprochée du Christ ? La question l’agace. « Je me prête au jeu depuis le début de cette aventure, mais c’est étrange de parler de sa foi, si intime, dans le cadre de son travail. Est-ce que j’aimais Dieu avant de jouer ce rôle ? Oui. Est-ce que je l’aime plus maintenant ? Non. Je comprends peut-être mieux certaines choses de Jésus. Elles me semblent plus concrètes. »
Dans une Amérique où la foi s’est muée en bande-son du pouvoir, Elizabeth Tabish refuse la ferveur qui sonne faux. Jouer Magdala lui a appris à se libérer du regard des autres. « Quand on cesse d’essayer de plaire, on commence enfin à faire ce qui est juste. »
Écrit par Camille Perrier
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